Performance Trinchera
Une performance reste toujours par définition une expérience unique, l’instant intemporel de sa représentation. Un public plongé dans l’obscurité de l’avant-projection attend quelque chose, face à un écran. Ce qui s’y passe prend son origine à travers plusieurs sources de lumières et mouvements sonores. Il y a d’abord le rétroprojecteur, celui d’Anna Graf. Elle manipule des objets quelque peu identifiable, par leur silhouette et le son qu’ils produisent dans la manipulation qui en est faite. Et la polarisation de Man Ray s’invite par cette occasion sur cet écran. Des bribes de mots de Doris Steinbichler viennent formuler, plus que des sons bribes de mots d’une langue inconnue des sons non identifiables. S’il y a langue ici, elle est en train de se former, à l’instar de l’enfant en ses premières années d’apprentissage et de découverte du monde. Mais il n’y a pas non plus de fœtus identifiable sur cet écran où des choses se passent, se déroulent peu à peu, et puis pas du tout. Le processus n’est pas narratif : la logique ne s’inscrit pas dans un ordre de transformations des choses. Et pourtant quelque chose se passe. Quatre intervenants (avec une invitation spéciale à Marcus Nordgren) derrière leur projecteur 16 mm ou diapos manipulent, conçoivent et confrontent leurs images en mouvements ou non. Pour qui connaît le travail d’Elena Pardo, Aisel Wicab, Rafael Balboa et Manuel Trujillo, l’assemblage d’images vient frapper l’attention, comme un clin d’œil chaleureux, où l’on reconnaît la présence de chacun. Cette prise de conscience plurielle se conjugue avec l’instantanéité. C’est la fascinante expérience de sentir les individualités artistiques fortes que l’on ne voit pas (parce qu’elles se trouvent derrière nous, projetant leurs images) par l’intermédiaire de leur univers visuel et cinématographique, au même moment, à parts égales, sans hiérarchie. Pas d’assistanat, rien que de la création. La langue écrite ne parvient pas, par sa succession de mots, à rendre compte de la simultanéité de ces présences. Il en résulte une époustouflante manifestation d’énergie, celle d’un groupe interactif, un collectif soudé par le désir d’une expérimentation immédiate de leur envie de cinéma. Et alors faire du cinéma n’est plus astreint aux contraintes budgétaires ni au planning de jours de tournage. Le travail est à l’œuvre. La communication avec le public est ouverte, pour le plaisir d’être ensemble. Cette expérience de cinéma, à la rencontre de divers moyens d’expression artistique, est recouvert de la sueur d’un ouvrage en train de se faire. Perlé de sueurs, les images sont donc d’origines humaines, même si elles évoquent le mouvement du cosmos, un chaos à l’origine de la vie.
par
Cedric Lépine